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Nous vous présentons l’interview réalisée par Frédéric Camus, Directeur Général chez FCI Immobilier auprès de Henry Buzy-Cazaux, Président de l’Institut du Management des Services Immobiliers.

Vous êtes un observateur engagé de la situation actuelle. Que peut-on dire de l’activité immobilière de transaction au moment où nous parlons?

Le constat peut désormais être dressé de façon claire, après une quinzaines de jours de flou et de polémiques, pas forcément très heureuses d’ailleurs pour notre secteur. S’agissant des transactions en cours, beaucoup d’entre elles vont pouvoir aller à leur terme; c’est-à-dire être définitivement actées par le notaire ou les notaires en cas de double minute.

La chaîne immobilière, qui était grippée d’une part par le confinement -qui empêchait de travailler normalement- et d’autre part par les ordonnances parues le 25 mars, est en train de se dégripper. Pour être précis, les études notariales sont pour la quasi totalité d’entre elles opérationnelles, ce qui veut dire qu’elles peuvent rédiger des avant-contrats, mais surtout authentifier des actes par voie digitale. Le décret qui le leur permet est tombé samedi 4 avril. On voit qu’il n’y pas de relâche au gouvernement, ni chez les lobbyistes…dont je suis.

Plus de 80% des études sont équipées sur le plan digital. Si un notaire n’est pas en capacité de remplir sa mission, un confrère pourra s’en charger. Les notaires eux-mêmes se heurtaient néanmoins à l’impossibilité d’obtenir les éléments indispensables auprès des services municipaux de l’urbanisme ou encore auprès des services de la publicité foncière.

Les grandes villes et certaines communes de moindre importance se sont mises en situation de fournir des DIA, et également d’instruire des demandes de permis de construire. Les conservations des hypothèques fonctionnent également. Il reste des inconnues : les diagnostiqueurs acceptent pour certains d’intervenir dans des logements inoccupés. Quant aux banques, elles peinent encore à émettre les offres de prêt. D’abord, elles concentrent leurs efforts et leurs équipes sur la situation difficile des entreprises et ensuite elles se heurtent aux assureurs : les examens de nature à démontrer l’état de santé d’un emprunteur doivent stricto sensu comporter un test de dépistage du coronavirus, qui est encore quasi introuvable. Certaines compagnies n’ont heureusement pas cette exigence. Enfin, le gouvernement va améliorer incessamment des textes qui bloquent la mécanique des acquisitions immobilières : le délai de rétractation SRU, à ce jour automatiquement prolongé de la durée de l’état d’urgence s’il n’avait pas été purgé avant son début, est paralysant.

Sur un autre sujet, les acquisitions de logements en VEFA ne peuvent à ce jour être définitivement conclues sans présence des parties devant notaire: cette exception qui avait été voulue pour protéger les acquéreurs de neuf sur plan va être provisoirement assouplie. Julie Denormandie s’est engagé à regarder ces points d’achoppement, lors d’un débat virtuel que j’ai organisé mardi dernier dans le cadre du Cercle des Managers de l’Immobilier que je viens de créer avec l’UNIS du Grand Paris.

Un mot important sur les transactions qui pourraient être initiées. Hors de question que les négociateurs sombrent dans l’abattement ! La vie continue, avec des embarras que nous connaissons, mais elle continue. Finalement, le seul vrai problème est l’impossibilité de réaliser des visites de bien avec des clients. On pourrait concevoir que cela soit possible en prenant toutes les précautions sanitaires, mais je considère que l’esprit du confinement ne le permet pas et que l’heure est à cet égard à la responsabilité. En revanche, tout ce qui prépare la décision peut parfaitement se faire de façon dématérialisée, que ce soit des visites virtuelles, avec reportages et axonométrie, accès aux informations sur un logement, comparaison de prix, découverte d’un quartier ou d’une ville, voire négociation si l’acquéreur avait déjà visité le bien et était en phase de réflexion.

Il faut anticiper sur demain. Je pense en outre que la profession, et vous savez que je peux avoir la dent dure envers elle, toujours avec affection, est en train de découvrir que le digital, dont elle s’est méfiée, est au service d’une relation client dense. C’est le moment ou jamais de revenir vers ses prospects, vendeurs et acquéreurs, d’en prendre soin. Je prépare même un MOOC (formation dématérialisée) sur ce sujet, qui sera prêt dans quelques jours : cette crise sanitaire va littéralement transfigurer le métier et créer des réflexes vertueux entre les conseillers, les agences et la clientèle.

Vous avez été le premier et vous êtes encore presque le seul à vous risquer à des prévisions sur les prix. Ne pensez-vous pas que vous allez contribuer à un attentisme des vendeurs comme des acquéreurs?

Nous sommes en 2020, dans un pays avide de transparence et de symétrie de l’information. Il n’y pas d’un côté ceux qui savent ou qui pressentent, les professionnels, de l’autre le public, à qui il ne faut pas en dire trop de peur qu’il en fasse mauvais usage. C’est de l’obscurantisme et en ancien professeur de philosophie je ne succomberai jamais à cette tentation. Au contraire, je partage mes réflexions, sans arrogance, avec modestie, mais en démontrant ce que j’avance. Je ne prédis ni un effondrement ni même une baisse insupportable, mais une correction des valeurs, simplement parce que j’ouvre les yeux. Certains discours font comme si rien ne se passait au plan économique. On serait en fait tous un peu au ralenti, voire en villégiature, et lors du déconfinement tout repartirait comme avant. Je le voudrais, mais ce n’est pas la réalité.

Tous les ménages sans exception vont sortir affaiblis financièrement de cette période, les salariés dont la rétribution aura baissé du fait du passage à temps partiel, les couples dans lesquels l’un des membres sera dans cette situation, les indépendants bien sûr, et globalement tous ceux dont la rémunération comportait une part de bonus. Il faut aussi penser à l’épargne investie en valeurs mobilières, appelée à servir d’apport personnel pour une acquisition immobilière, que la crise aura fait fondre. Il faut enfin penser à celles et ceux qui attendait une fin de période d’essai ou un passade de CDD en CDI, qui risquent d’être déçus si l’employeur a entre temps perdu toute visibilité. En outre, cette fois, la crise est mondiale et même les étrangers auront souffert et ne pourront pas prendre le relai des français sur certains segments de marché, dans les grandes villes ou pour les biens de luxe.

Cette désolvabilisation indéniable va peser selon moi sur les prix dès la sortie de crise, avec deux catégories de territoire. Dans les métropoles, les grandes villes et leur périphérie, les prix baisseront de l’ordre de 5%, parce que les candidats à l’acquisition y sont plus aisés pour pouvoir absorber des prix devenus très élevés au fil des années et que la crise va moins affecter leur pouvoir d’achat résiduel. Ailleurs, je pense qu’une correction de 10% est possible, à cause d’une moindre attractivité et donc d’une demande moindre et avec des populations candidates à l’achat avec des revenus plus faibles, que la crise aura davantage éprouvés.
En disant cela, je crois au contraire donner des clés aux parties, vendeurs comme acquéreurs, et aux négociateurs, pour que la reprise ait lieu sur des bases de compréhension mutuelle et que les accords se forment sans malentendu.

Comment la reprise va-t-elle se faire?

Je ne crois pas à ce que j’appellerai « l’effet youpi », c’est-à-dire un redémarrage de l’économie comme une fusée, les acteurs se sentant libérés. D’abord parce que les français vont sortir économiquement affaiblis de cette période, sans doute aussi psychologiquement troublés, avec une conscience accrue de notre fragilité collective. Il nous faudra progressivement reprendre confiance, regagner l’envie de consommer et d’investir.

Un redémarrage progressif au cours du second semestre est le scénario que j’estime le plus crédible. Bien sûr, il dépend de la capacité du pays à se redresser vite ou moins vite. Tous devront jouer le jeu. Si les grandes entreprises se retiennent de licencier, si les pouvoirs publics conçoivent après un plan de sauvegarde un plan de relance et ne font pas exploser la fiscalité ni sur les sociétés ni sur les particuliers, alors la guérison sera rapide et la convalescence sera brève.

Pour le logement, qui est l’un des moteurs les plus puissants de la relance, le gouvernement ne pourra pas faire l’économie d’un plan spécifique. En particulier, je pense qu’on cessera de tracasser l’immobilier, en considérant qu’il coûte trop cher. Qu’on redonne toute la puissance nécessaire aux aides qui ont fait leurs preuves : le prêt à taux zéro, le dispositif Pinel notamment, mais aussi l’APL accession. Et qu’on ne remette pas en question, ce qui semble malheureusement à l’ordre du jour, la suppression de la taxe d’habitation pour tous. Je plaise enfin pour une franchise provisoire de droits de mutation à titre onéreux, par exemple sur les 100000 premiers euros du prix.

Henry Buzy-Cazaux,
Président fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers


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